Intervieuw Marcel Nuss

Rencontre avec Marcel Nuss

Fondateur de l’association Coordination Handicap et Autonomie (CHA), Marcel Nuss, lui-même pluri handicapé, fait de la création de l’accompagnement sexuel, une question de droit, de citoyenneté et d’humanité. Nous lui avons demandé d’en éclaircir le contenu. M. Nuss l’a fait en pesant chacun de ses mots…

Qu’entendez-vous exactement par accompagnement sexuel ?

L’objectif est de fournir une aide aux couples dont les deux partenaires sont trop handicapés pour se rapprocher sexuellement mais aussi de permettre à une personne handicapée d’avoir une expérience intime avec une personne formée au préalable pour cette activité ; pas n’importe qui, bien entendu, mais une personne choisie après une sélection drastique qui serait là pour apporter à la personne handicapée un soulagement, pour lui permettre de se réapproprier son corps, de se réincarner.

Ce service, très ciblé, n’est envisagé que pour des personnes qui sont trop dépendantes pour avoir un contact avec leur corps, donc pour pouvoir se masturber, et pour des personnes déficientes mentales pour qui cette non maîtrise provoque souffrances et déstructuration. Cette activité n’irait pas au-delà de la masturbation ; l’essentiel reposant sur l’écoute, les massages, les caresses. Ce qui se passe ensuite dans une chambre entre deux personnes relève de l’intime et de leur libre choix. Ce n’est pas du ressort du législateur.

Il faut que les deux personnes s’apprivoisent, il faut une complicité, un bien-être. Il s’agit en fait d’un accompagnement à la vie affective et sexuelle. 80% de l’accompagnement relève de l’écoute, de l’information, de la formation, du suivi des parents, des ados et des adultes. 20% relèverait de l’accompagnement sexuel lui-même. On fait une montagne de quelque chose qui est beaucoup plus subtil et complexe.

Pour vous, il ne s’agit donc pas de prostitution ?

En Allemagne, en Suisse, ce ne sont pas des prostituées qui exercent cette activité. Un peu plus en Hollande où la prostitution est légale. La personne handicapée peut se payer une prostituée si elle le souhaite, mais cela n’a rien à voir avec l’accompagnement sexuel. 80% des personnes sélectionnées viennent du milieu paramédical : psychologues, kinés, aide-soignants. On ne peut pas jouer avec les gens, avec leur équilibre, leur bien-être.

Vous demandez pourtant une dérogation pénale pour ne pas risquer l’incrimination de proxénétisme ?

Après avoir rencontré des parlementaires, des juristes, nous pensons qu’il n’est pas question de légaliser la prostitution. Il faut passer par un autre biais. Notre but n’est que de répondre à  un besoin en mettant des garde-fous pour protéger les accompagnants. Ce que nous demandons n’est pas une dérogation pénale, mais un ajustement.

Nous sommes favorables à la loi française mais la prostitution n’est pas le problème. On mélange tout. L’accompagnement sexuel n’a rien à voir avec une passe. Les séances durent au moins une heure ou une heure et demie. On prend le temps d’apporter du bien-être. Et les accompagnants sexuels n’exerceront cette activité qu’à mi-temps. Pas plus de 3 à 4 séances par mois, parce qu’il s’agit d’un investissement énorme. Il s’agit de répondre à une souffrance.

L’idéal serait évidemment de rencontrer l’amour. En attendant, certains handicapés s’endettent pour se payer une call girl. Des mères de famille masturbent leur gamin, est-ce défendable ?

Quelle est la demande réelle ?

La demande est récurrente et très importante. Elle est montée depuis quelques années en raison de l’évolution des mentalités. Etant donné les films porno que visionnent les personnes handicapées dans les établissements, le sexe qui s’étale partout, comment leur refuser ce qui est promis à tous ?

Une demande… au masculin ?

Pour l’instant, oui la demande exprimée est essentiellement masculine.

Mais les femmes ont aussi des besoins comme l’a montré le colloque de Strasbourg, ainsi que des témoignages poignants qui figurent dans notre livre. Il est vrai que les besoins et attentes des hommes ne sont pas les mêmes que ceux des femmes. Et puis il y a l’homosexualité. C’est très complexe. Et du côté des accompagnants (dont beaucoup sont bisexuels), contrairement à ce que l’on pourrait penser, il y a plus de candidats hommes que femmes.

Je suis assez étonné. Pour moi, c’est le signe que les hommes commencent à laisser parler leur féminité, leur capacité à  donner. Le suisse Lorenzo Fumagalli a une extraordinaire humanité.

N’y-a-t-il pas des risques ? Violences éventuelles, perversions…

Si on me trouve un risque zéro, je suis preneur. Mais quoi que l’on fasse dans la vie, il y a des risques. Sans accompagnement sexuel, on n’a jamais empêché les perversions, les dérapages. Avec, il n’y en aura ni plus ni moins. Nous travaillons pour les éviter au maximum. Nos associations sont sérieuses et ne peuvent se permettre de dérives. Leur crédibilité est en jeu.

Quelle est votre position sur la légalisation de la prostitution ?

L’humain est névrosé, potentiellement pervers ou déviant. A titre personnel, je suis contre la prostitution dans la mesure où c’est un esclavage, une exploitation de la chair humaine. Je pense qu’il y a entre 1% et 5% de prostituées qui sont volontaires. La majorité ne l’est pas. Je sais trop ce que je dois aux femmes pour accepter qu’elles soient humiliées.

Dans ce cas, pourquoi pas un accompagnement sexuel gratuit pour éviter toute confusion ?

Les accompagnants actuels ont un contrat. C’est un garde-fou. Et il faut bien vivre. L’idée est recevable, mais est-elle vivable ? Tout travail mérite salaire. Ces personnes suivent un an de formation, ont fait des études. C’est à la fois une vocation et un métier. Bon nombre d’accompagnants sont mariés dans les pays où cela existe.

L’accompagnement sexuel relève-t-il du soin ?

Pour nous, il ne s’agit pas d’un soin. La personne n’est pas en danger. En Hollande, l’accompagnement sexuel est pris en charge par l’équivalent de la sécurité sociale. C’est hors de question en France. Notre approche serait plutôt d’obtenir une augmentation des "charges spécifiques", qui s’élèvent aujourd’hui à 100€  par mois et qui permettent d’assumer les frais médicaux et para médicaux non remboursés. La personne paierait l’accompagnement sexuel en prenant sur cette somme. Notre but est aussi de la responsabiliser.

N’êtes-vous pas en train de légitimer un "droit à la sexualité" et donc une voie royale pour la marchandisation de la sexualité ?

Ce que nous proposons amène forcément d’autres questionnements. D’autres revendications. Ce sera aux générations futures d’y répondre. Le sexe a toujours été central dans l’histoire de l’humanité. C’est un facteur d’humanisation. Notre motivation, c’est la souffrance. Une souffrance immense. On n’arrête pas une société en marche.

Pour nous, il s’agit de faire évoluer la société dans le respect des règles établies et le respect des personnes. Je connais des hommes handicapés qui disent préférer rester abstinents. Nous ne voulons rien imposer, juste apporter un choix supplémentaire.

Commentaires

  • les questions posées et vos réponses à ce sujet sont importantes sur tous les points essentiels qui sont exprimés
    merci de faire évoluer le monde et d'ouvrir les barrières
    qui nous sont posées.
    Je suis en situation de handicap et comprend la souffrance
    de ce monde , je serais avec vous dans le combat jusq'au
    bout, bravo pour votre courage et perspicacité .

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